Nanni Moretti sur le tournage de Habemus Papam |
Imaginez un cardinal discret, peureux et incommodé, joué par un Piccoli rarement aussi juste dans un exercice d’une délicatesse extrême : jouer celui qui ne veut pas jouer. Et cet anti-joueur n’est ni plus ni moins que le pape fictif nouvellement élu. Rien de plus logique pour un film constamment traversé par cette idée du jeu, comme l’était déjà Palombella Rossa dans lequel Moretti assure la mise en scène autant qu’un équipier de water-polo et un député du PCI. Il aime tellement le jeu qu’il délègue, le temps d’une scène, son poste de réalisateur au défunt Raoul Ruiz. Il est certain que Piccoli aurait rêvé de déléguer son rôle de pape à un autre cardinal, et non à un autre acteur. Et on peut difficilement lui jeter la pierre : chacun de ses mots et gestes sont pesés voir respectés par des millions de fidèles qui n’attendent qu’une chose : l’entrée sur scène…
De cette idée simple et lumineuse, Moretti construit deux pentes narratives . Dans l’une, il s’octroie - par l’intermédiaire d’un rôle de psychiatre - la dimension comique du film. Un comique plus proche de la farce que de la satire anticléricale, chose qui peut surprendre lorsqu’on regarde son film précédent : Le Caïman et son portrait à la fois subtile et sans concession de Berlusconi. Cette pente narrative passe le plus clair de son temps sur un terrain de volley spécialement aménagé dans le Vatican afin de faire patienter les cardinaux. Sous les apparences de la profession, Moretti se révèle être meilleure coach de volley que psychiatre. Il réserve donc l’aspect tragique à l’histoire de Piccoli qui en fuyant sa prison, retrouve ses racines et sa liberté dans le théâtre, même si cette expérience s’avère être en partie amère. La faute à son manque de courage qui lui a barré la route à une grande carrière d'acteur. D’ailleurs, ne peut-on pas supposer que ce rôle de pape est la chance de sa vie ? Une chance qui demande un maitrise de soi totale puisque devant la scène, des millions de spectateurs l’attendent et n’auront, au passage, rien d’autre qu’un cri d’angoisse qui est l’un des plus beaux hors champs de ces dernières années. Moretti le joueur a réussi son pari : rendre au pape ce qui lui est essentiel, la fragilité.
Tifenn Jamin
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