Prenez un perchiste au sommet de son talent. Confiez lui toutes vos espérances pour la prochaine compétition. Maintenant, imaginez le pire. Dès le premier tour, il se fait éliminer en emportant avec lui la barre. Cette barre, c’est aussi la position du spectateur qui accompagne la chute de ce film.
Voilà l’émotion ressentie à la fin de ce film qui s’avère donc être une déception à la mesure de cette métaphore athlétique… De l’esbroufe, rien que de l’esbroufe. Darren Aronofsky s’est planté à tous les niveaux. Sur le papier, Black Swan était pourtant alléchant. Un sujet démiurge digne de Visconti. Le problème dans ce film, c’est que tout va trop vite. Le cinéaste semble jouer la carte de l’excès tant sur le plan narratif (sur-dramatisation) que sur le plan visuel (caméra bien trop nerveuse pour ce sujet). Il ne sait pas par quel bout prendre son scénario. À aucun moment, il ne le maîtrise. Du coup, cela crée une distance irritante avec le spectateur. Un comble pour ce récit d’une jeune danseuse qui fait corps avec son personnage. Il ne laisse jamais respirer son film, quitte à frôler par moment un magma stylistique indigeste incapable de se figer un seul instant. Un raccord entre deux scènes illustre ce propos. Natalie Portman sort de sa loge croisant Vincent Cassel qui n’a même pas le temps de finir sa réplique que le film enchaîne sur une autre scène tout aussi expéditive. Lorsque le rideau tombe, on a envie de dire une seule chose « Darren, calme toi et prends le temps de choisir un sujet qui te correspond ». Au bout du compte, je n’ai même plus envie de vous raconter cette belle histoire cachée.
Pour comprendre cet échec, il me semble judicieux de remonter le temps et de s’arrêter à l’époque The Fountain, moment charnière dans la vie de Aronofsky et véritable travail de titan pour un cinéaste armé d’une détermination sans faille. Malgré son audace formelle, The Fountain s’avéra être un des pires échecs critiques et publics de la dernière décennie. Un traumatisme sans précédent pour son réalisateur qui orientera la suite de sa carrière. À la métaphysique de The Fountain s’oppose le réalisme cru de The Wrestler, succès critique qui révèle un cinéaste discret lequel s’efface derrière son scénario et surtout son acteur. The Wrestler est moins un film de Darren Aronofsky qu’une biographie de Mickey Rourke, le véritable auteur de ce film. Un antidote parfait contre l’échec et le doute. Cependant, on peut se demander si cette façon de s’effacer n’est pas la résignation d’un cinéaste devant son public. La discrétion contre l’audace. La démagogie contre la sincérité. En tous cas, le débat est ouvert.
Aronofsky regonflé à bloc décide de s’attaquer à Robocop avant de s’attarder sur un sujet tout aussi ambitieux : Black Swan. Une œuvre toujours minée par le traumatisme post-The Fountain. Il suffit de voir comment Aronofsky aborde le fantastique, non sans crainte et avec une tendance à s’enfermer dans le cliché. En soi, les passages où Portman croise son double dans une rue ou dans un miroir atteignent des sommets de fainéantise. C’est beau de vouloir atteindre une forme simple, épurée et évocatrice, faut-il encore laisser à son film un minimum de liberté puisqu’il n’y a pas de liberté sans évocation.
Tifenn Jamin
Cet article est l'émanation d'un jeune rédacteur qui à longtemps défendu Darren Aronofsky
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