mercredi 24 octobre 2012

"Le jour où nous avons cessé d'avoir peur" écrit par Ricardo Montserrat et mis en scène par Virginie Frappart



Nous attendons sous le froid et la pluie, devant une piscine close, qu'advienne le "jour où nous avons cessé d'avoir peur". 
Nous sommes impatients. 
Mais de cesser d'avoir peur de quoi ? Et avons-nous réellement peur ? Que gagnons-nous à cesser d'avoir peur ? 
Puis nous entrons, appelés par des cartes à jouer, dans un couloir lugubre. 
Là, nous prenons conscience qu'il était vain d'intellectualiser, ce sont nos tripes qui vont tout prendre. 
Nous passons de salles en salles, de couloirs en couloirs, et chaque fois une peur nous arrête, nous retiens, nous touche plus personnellement, nous bouscule, par sa poésie, sa justesse. Et la prise de conscience qu'elle suscite. Nous commençons à comprendre de quelles peurs la "pièce" parle, de ces peurs qui cohabitent si bien avec nous depuis toujours qu'on a presque oublié qu'elles en étaient. 
La peur du regard de l'autre, la peur de la mort, de la vieillesse, la peur de la solitude, la peur de l'humiliation, de la maladie, de l'oubli, de l'échec. Et toutes ces peurs sourdes, on les sent remonter à la surface, vécues par les personnages, mais ressenties par nous. 
Et c'est là qu'est toute la maestria du texte, soutenu par le jeu indisociable des amateurs et des professionnels. Il parvient à parler à nos tréfonds, précisément là où cette peur se niche, il parvient à nous toucher si subtilement, qu'on est dérangé, bousculé, gêné de voir tous ces miroirs. 
Puis, comme après un parcours initiatique, une digestion à travers les boyaux de la peur, nous émergeons aux abords des bassins. 
Et, émus et travaillés comme nous le sommes, nous recevons avec toute sa force, sa précision et sa pertinence le message finale. 
Cessons d'avoir peur, ne l'attendons pas, décidons-le. 
Un propos engagé. Dont l'efficacité tient autant à la qualité de l'écriture qu'à l'ambiance mise en place et qui y mène. 
Je retiens cette phrase notemment "Nous avons déjà connu la guerre, le froid, la faim, avez-vous oublié ?" "Plus jamais, nous avions dit plus jamais ça." 
Nous avons parcouru, dans l'intérieur exiguë de la piscine, nos peurs intimes, et nous sortons, tous groupés, pour faire face à la peur sociale, la peur globale, systémique. Celle de perde son emploi, celle d'être exclu du groupe sociale, celle de l'insécurité. 
Et c'est par le groupe que nous prenons conscience de notre force et de la nécessité de cesser d'avoir peur.

David Heuclin


http://alicegroupeart.canalblog.com/archives/nous_peurs/index.html

samedi 14 juillet 2012

Entretien avec Martial Salomon pour son film, Centre Cuir


Qu'il n'en déplaise aux adeptes du cyclisme, le sprint est un style qui ne convient pas au cinéma. Trop nombreux sont les films qui n'accordent aucun respect au temps, nous forçant par la même occasion à suivre comme un peloton (ou un mouton ?), le rythme trop soutenu de leurs images. Centre Cuir à cette qualité de prendre son temps, un temps qui permet d'y voir double, puisque une image, un plan ou une réplique peut à la fois paraitre tragique et comique. Un art du burlesque que maitrise parfaitement Martial Salomon, cinéaste, monteur et cinéphile que je tenais à interviewer autant pour la qualité de ses films que pour une cinéphilie dans laquelle je me retrouve.

Arnaud Gravade dans Centre Cuir
 
          Commençons par le commencement. Y'a t-il eu un film révélateur qui vous à engagé sur la voie  du cinéma. Quel à été votre parcours depuis ?

Non, il n'y a pas eu de film révélateur à proprement parler.  J’ai eu la chance de pouvoir découvrir durant mon adolescence des films à la télévision ou grâce au vidéo-club: par exemple La mouche, Carrie, ou Gremlins, c'est à dire globalement des films d'horreur. Puis j’ai découvert Hitchcock, Rohmer, Buñuel, Fassbinder, Hong Sang-Soo… J’ai également étudié le montage à la Fémis, pour apprendre un métier. Globalement, tout ce qui s’est éloigné du naturalisme, de l’horreur au mélodrame, m’a donné envie de travailler sur des films. Crash, le Rayon vert, Body Snatchers, The Thing, Martha, le Monde Perdu, La Mort aux trousses, Le Camion, Voyage en Italie, Le Mirage de la vie, L’armée des 12 singes, Mission: impossible, sont des films qui m’ont beaucoup impressionné. 


Dans Centre Cuir, la veste en cuir revêt une importance primordiale dans la narration et donne cette impression que votre film provient d'une histoire personnelle concernant cet objet. D'ou cette question, quelle est l'origine de ce film ?

L'origine du film, curieusement, n'a pas été le cuir, qui m'a servi de prétexte. Tout d'abord, j'avais écrit le film pour Arnaud Gravade qui joue le personnage principal. Arnaud correspond au genre de voix et de corps que j'aimerais voir et entendre plus souvent au cinéma. Puis l'enjeu pour moi était d'enregistrer la musique noisy-rock qu'il interprète, c'est un style musical qui me semble rarement présent dans les films, ou alors de manière caricaturale. Enfin, pour la narration, je voulais transposer une histoire qu'on m'a racontée, à propos d’un couple qui s’aimait mais dont les fantasmes divergeaient totalement, de manière exclusive, à rendre finalement impossible leurs rapports sexuels. Cela m'a semblé être une situation absurde et cruelle. J'ai pensé alors à transposer cette histoire. Le cuir m’a semblé judicieux, c’était un élément visuel et sonore intéressant à filmer et qui permettait de raconter un ménage à trois où l'objet prenait autant d'importance que l'être aimé. Le perfecto en cuir me permettait de reproduire également sur un mode mineur une figure du film d'horreur: la personnification d'un trauma ou d'un sort, et sa transmission d'un personnage à un autre, comme dans une ronde.

Trois Ponts sur la rivière de Jean-Claude Biette

Ce qui est marquant dans votre film, c'est la capacité que vous avez à brouiller les pistes entre comédie et tragédie. Alain peut autant prêter au rire satirique qu'aux larmes de la fatalité. Aviez-vous, de base, une orientation vers un genre cinématographique spécifique ?

Je n'avais pas d'a priori sur le ton que j'adopterais. Bien sûr l'histoire appelait naturellement un ton assez dramatique, c'est pourquoi, par pur esprit de contradiction peut-être, il m'a semblé pertinent de ne pas le traiter uniquement sur ce mode. La comédie est donc venue naturellement prendre sa place aux endroits où une forme de pathos pouvait alourdir le récit. Certains m'ont reproché, dans le film, de ne pas avoir su choisir une tonalité précise et m'y tenir, mais en réalité je cherchais des dissonances, des oscillations, des sortes de greffes impertinentes. De fait, j'aime les films qui jouent sur une certaine dialectique, une forme de contradiction. Sans cela, un film a toujours l'air de plaquer un sentiment ou d'enfoncer un clou. Comme dans la vie, une situation comique peut naître d'un moment grave, et inversement. Ce n'est pas pour moi une forme d'ironie, mais une sorte d'honnêteté envers le spectateur, que de lui faire traverser une histoire avec ce qu'elle a possiblement de paradoxal, et donc de surprenant. Pour moi, les plus belles comédies sont aussi les plus sinistres, et les tragédies les plus fortes sont celles qui poussent leur récit jusqu'à une forme d'absurdité, et d'humour. Je n'aime pas les cinéastes sans humour. Fassbinder, Sirk, Duras, Ophüls, Verhoeven manient le mélange des tonalités avec grandeur.


Vous avez réalisé tout récemment un recut sur Fassbinder pour le compte de l'émission Blow Up, démontrant une connaissance aigue du cinéma de R.W Fassbinder. Parlez-nous de votre rapport à ce cinéaste.


J'ai découvert les films de Fassbinder d'une traite, à une rétrospective à Bobigny en 2002, et j'ai fait mon travail de fin d'études sur ses films, un montage d'extraits de 34 minutes, qui cherchait à raconter une histoire à partir de toutes ses histoires. Ce qui m'a frappé avant tout, en voyant et revoyant les films, c'est sa manière de savoir mêler l'amour et la politique au sens large, et d'avoir travaillé souvent avec les mêmes acteurs sur des registres les plus divers. Il y a surtout chez Fassbinder une volonté obsessionnelle de diriger frontalement le spectateur vers une possible libération de sa propre pensée et de ses sentiments, de provoquer chez lui une sorte de court-circuit dans son quotidien, pour lui permettre de vivre sa vie. Cela me semble encore aujourd'hui la volonté artistique la plus violente et la plus vivante, et donc la plus belle. Ses films empruntent pour cela des moyens très contrastés, sans carcan ni a priori. Son cinéma fait donc encore l’effet d'une bombe, surtout dans un paysage cinématographique aujourd'hui dévasté à tous les niveaux par une certaine volonté de faire carrière, avec des films souvent plus proches d'une approche univoque, auteuriste, ou publicitaire en quelque sorte. Fassbinder, lui, et pour reprendre le titre d'un de ses films, n'avait pas peur de la peur.



       

Vous avez travaillé, en tant que monteur, avec des réalisateurs tels que Emmanuel Mouret, Pierre Léon et Vladimir Léon. Quels tics, quels conseils avez-vous retenu pour votre propre mise en scène ?

Tout d'abord j'ai appris avec ces trois réalisateurs, qui sont totalement étrangers au fait de donner des leçons et pour lesquels j'ai la plus grande amitié, à prendre du plaisir à travailler à deux ou en équipe. Nos rapports reposent sur une confiance dans le travail et une franchise sans lesquelles il me semble que le travail sur un film serait impossible. J'ai donc tenté grâce à eux d'apprendre à essayer de dire ce que je pensais, ce qui n'est jamais une mince affaire quand on fabrique un film. Emmanuel Mouret m'a sans doute aidé à mieux comprendre le travail possible avec les comédiens. J'admire aussi chez lui son sens du romanesque, son goût pour la construction et le laboratoire. Dans son travail, l'élégance est le maître mot. Ma rencontre avec Pierre Léon a été importante pour moi: avec lui, au montage comme au tournage, tout est permis, les méthodes de travail s'inventent à chaque film. C'est grâce à lui que j'ai appris à démythifier un peu plus la notion d' "auteur", et à affirmer mon propre goût, ce qui m'a encouragé à faire des films, et cela de manière pragmatique. Mon travail avec Vladimir Léon est plus récent, plus nouveau, le montage de son film Les Anges de Port-Bou m'a aidé dans mon propre travail à essayer de m'abandonner un peu plus à une forme poétique, de manière sereine et sans en rougir.


Il me semble que vous appréciez aussi Jean-Claude Biette. Parlez nous de ce cinéaste qui reste malheureusement peu connu.

C'est Pierre Léon qui m'a fait découvrir le cinéma de Jean-Claude Biette, en travaillant notamment avec lui au montage de son documentaire, Biette. Jean-Claude Biette, critique et cinéaste, incarne pour moi une sorte d'électron libre, unique dans son style. Il a été également le premier à faire découvrir Oliveira en France et un des rares à défendre Ferrara dès ses débuts, ce qui le rend précieux à mes yeux. Il est toujours difficile de décrire un film de Biette. Ses films sont autant une forme de critique acerbe du monde du spectacle, que des grandes fictions, mêlant l'humour de l'anecdote à la puissance global du récit. Biette aimait aussi beaucoup les jeux de mots, ses films en regorgent. L'apparente simplicité formelle de ses films fait paradoxalement écho à un grand sens du mystère. Les personnages ont des liens, souvent secrets, et évoluent dans des lieux familiers - mais à la marge, dans un monde qui change devant nous. Biette a toujours été a contre-courant des modes, et de la critique, mais de manière discrète et humble. Ses tournages, parait-il, se déroulait dans un calme rare et précieux. Je pense souvent à une phrase du personnage incarné par Howard Vernon dans Le champignon des Carpathes, dite dans un théâtre: "Notre vie est bien trop courte pour que nous soyons autre chose que des amateurs".


Vous pouvez visionner certains courts-métrages de Martial Salomon à cette adresse

                                                                                                propos recueillis par Tifenn Jamin