jeudi 31 mars 2011

Festival du film espagnol de Nantes : Meme la pluie et Citoyen Negrín : tendance gauchisante



Même la pluie de Icíar Bollaín

J'aimerais ici parler d'un film qui, s'il n'est pas de la compétition pour ce Festival du cinéma espagnol nantais, et, qui plus est, sorti en janvier, sera cette semaine diffusé par trois fois, et mérite qu'on s'arrête sur lui, en blockbuster qu'il est. Il s'agit de También la lluvia, ou Même la pluie si vous préférez. Une bonne grosse production engagée, plutôt tendance gauchisante, mais pas trop, cette même production que Jacques Morice (dans Télérama) a qualifié de « cinéma équitable ». Mais n'anticipons pas sur la prise de recul. Les faits sont assez simples. Début du 21ème siècle, un réalisateur idéaliste et un producteur très pragmatique décident de filmer leur projet, à savoir l'arrivée des Espagnols en Amérique Latine, la colonisation et les brimades aux indigènes, et le soulèvement de ces derniers. Duo de choc, qui pour des raisons matériels et financières choisit de tourner en Bolivie avec des Indiens Quechua, qui ne sont pas les bons Indiens mais qui font Indiens quand même si on leur met les fesses à l'air. Puis une forêt c'est une forêt. Donc le deal semble fonctionner, les figurants sont à peine payés, le tournage débute. Mais le pragmatisme atteindra vite sa limite. A l'échelle municipale est décidé un plan de privatisation de l'eau courante. La population proteste. Les autorités ne cèdent pas. La population proteste plus fort, et s'engage dans la lutte. L'équipe du film se retrouve prise au beau milieu d'une crise politique, faisant fi de la tension locale pour continuer le tournage...
Même la pluie
Iciar Bollain livre ici un film social, dans la lignée d'un Ken Loach, pour lequel elle a tourné (Land and Freedom) et à qui elle a pris le scénariste. Envoyer une équipe tourner en Bolivie ne lui sert que de prétexte à un contenu autrement plus politique et actuel. La focale est ici surtout placée sur la situation bolivienne et cette « guerre de l'eau de Cochabamba » , qui a eu lieu en 2000. Les quelques fragments du film historique en tournage ne servent d'ailleurs qu'à souligner ou illustrer le contexte. Ce qui se trame en Bolivie en 2000, terrible écho pour l'équipe, n'est qu'une redite, une nouvelle colonisation à l'apparence certes différente mais de même nature : l'exploitation du potentiel des uns par d'autres. L'Espagne s'est mue en multinationale, voilà tout. Quand Daniel, Quechua choisi pour le rôle du leader des Indiens révoltés, doit affronter les conquistadors le jour et l'armée la nuit, il se bat contre le même ennemi, dépassant la fiction. Et dépassé, tout le monde l'est. Dans le tumulte, l'équipe du film, ces hommes qui ne sont pas à leur place, se disloque, et son unité apparente, qui n'était que professionnelle, s'ébrèche sous la pression politique et l'augmentation des violences. Chacun sa réaction. La plupart prennent peur, et cherchent à regarder au-delà. Mais deux d'entre eux vont subir, par les évènements, le changement dont ils avaient sans aucun doute besoin. Enthousiasmé puis paniqué, le réalisateur Sebastiàn entre peu à peu en transition entre un âge caractérisé par ses douces utopies de jeune premier et le retour, brutal, aux réalités : quelle responsabilité de l'artiste face à ces évènements ? Mais c'est surtout Costa, le producteur, qui se révèle à lui-même et aux autres. Cynique, affairiste, le bouclage du film est son unique objectif. Les amitiés naissantes et le chaos le feront plonger dans la bataille, neutre mais décidé.
Ce n'est pas du Ken Loach bien sûr, mais le film se donne les moyens pour arriver à ses fins. Et ça marche. Alors, l'ensemble est très produit, précisément orchestré, souligné de violons et tambours dramatiques, bref une comédie dramatique gros budget sur sujet sensible. Mais n'en faut-il pas ? L'œuvre est accessible, et sert son message jusqu'au bout, par une mise en scène bien pesée. De plus, il nous est donné le plaisir de retrouver deux acteurs toujours efficaces : Gael Garcia Bernal, bien connu du public hexagonal, et surtout Luis Tosar, l'homme aux Goya. Pas leur plus grande prestation, mais servir le personnage avec un minimum de talent devrait être obligatoire.
Les spectateurs bobos de Les femmes du 6ème étage essayaient de s'acheter une conscience sociale contre 8 euros le siège. Ils peuvent retenter leur chance ici, avec toutefois une dose nettement plus élevée de sérieux et d'humilité. Et sans Sandrine Kimberlain. 

                                                                                                                             Martin, comte de Perrot

Citoyen Negrin de Sigfrid Monleon, Carlos Alvarez et Imanol Uribe
N'ayant pas vu Même la pluie, je ne peux pas me prononcer sur l'article du Comte de Perrot. Cependant, cette "tendance gauchisante" me semble être une constante dans ce festival au regard de Pain noir, déjà chroniqué, et de Citoyen Negrin, qui nous raconte la vie de Juan Negrin, chef du gouvernement de la Seconde République entre 1937 et 1945 et homme de gauche aussi important en Espagne que Jean Jaurés en France. Bien que cinématographiquement peu original, Citoyen Negrin réussit à réveiller la sève militante. Le public visé est clairement le peuple de gauche et le combat anti-fasciste de l'homme semble être mis en avant au point que l'alliage de ses deux perspectives débouche sur une question radicale : Peut-on être anti-fasciste sans être de gauche ? On s'aperçoit que ce devoir de mémoire est une façon de poser des questions sur l'essence du socialisme et la définition qu'on s'en fait aujourd'hui. Malgré toutes ses qualités, le film m'a surtout touché par les petites scènes familiales tournées par Negrin lui-même. Il devient alors le réalisateur posthume d'un film qui en compte déjà trois. Un comble!
                                                                                                                               Tifenn Jamin

mardi 29 mars 2011

Nuit fantastique du festival du film espagnol de Nantes : Brutal Relax


Pitch : M. Olivares vient de terminer sa cure à l'hôpital psychiatrique. Mais son médecin, attentionné, lui prodigue toutefois quelques conseils de dernière minute : il lui faut du repos ! Une plage de soleil par exemple. Une fois la plage trouvée, volent les frisbees, gloussent les midinettes, et coule la crème solaire indice 20. Mais voilà, des zombies, tout droit sortis des mers, s'invitent aux festivités...

 
Tenons-nous le pour dit, Brutal Relax est de ces films qui marquent par leur propos tout autant que par l'intérêt mineur qu'il porte à la construction narrative. Un divertissement sans trop d'esprit, épuré comme il se doit, laissant ainsi la place a un concentré de marrade dépassant à peine le quart d'heure. Point trop n'en faut, et le trio de réalisateur l'a bien compris, en nous concoctant un court-métrage plus proche du clip sanguinolent que du thriller zombiesque. On dirait un film de fin d'étude, pour la fraicheur, c'est lumineux et plein de sang non-humain verdâtre (mais du rouge aussi !), et littéralement habité par un épais Gaspard Noé ( hommage ? ). Cet Olivares donc, gentil crétin massif, amateur de bain de boue et de musique ensoleillée ( mention spéciale à Savvas Salpistis ). En prime, un jeu d'acteur minimaliste mais tordant. Et oui, la moustache, faut savoir la porter. On savait les cinéastes espagnols doués pour faire couler le sang, doués pour exciter nos zygomatiques, pour le mélange des deux, on pouvait avoir quelques attentes pour ce métrage d'horreur rigolote. Y'a pas que REC dans la vie.
Et bien, tenons-nous le pour dit, les zombies furent, encore une fois, trop LOL.

P.S : Comme à CineKlectic on croule sous le généreux, et surtout pour éviter la recherche, voici le lien Youtube du film. Vous pouvez aussi « liker » la page Facebook, ça fait toujours chaud au coeur des principaux concernés

                                                                                                                      Martin, comte de Perrot

Festival du film espagnol de Nantes : Fake Orgasm de Jo Sol


Ne vous fiez pas au titre. Ne jamais le faire est un principe partagé, mais qui se pose ici avec un poids certain. Fake Orgasm n'est pas un énième reportage potache sur des concours de bars underground, une nouvelle mode marginale, ou une lubie d'artiste avant-gardiste. Quoique, si en fait. La présentation d'une œuvre et d'une vie d'artiste, mais plus proche du combat que de la lubie, plus proche du happening socialement engagé que de la performance pseudo avant-gardiste, élitiste et stérile. Le portrait dresser ici par Jo Sol est celui de Lazlo Pearlman, artiste « performer » aux multiples facettes, que le réalisateur commence par suivre alors qu'il anime, coiffé d'un haut-de-forme, dans un cabaret espagnol, un spectacle participatif et mixte d'orgasmes simulés. Tout un programme. Mais voilà, Pearlman n'est pas qu'un chauffeur de salle, et ce concours n'est que l'introduction (qui prête à rire) d'un métrage qui aborde un sujet autrement plus profond et sérieux : l'identité sexuelle. Pour le coup, la vrai, et non plus seulement l'identité sexuée dans sa dualité normative. Dans le débat qu'il lance, l'artiste (Lazlo) n'est plus seulement l'acteur en scène, mais aussi l'acteur du débat qu'il provoque, et qu'il veut la continuité de son spectacle. « Performer » donc, quand le show est un outil qu'on utilise pour ouvrir les crânes et frapper les consciences, notamment sur cette question de l'identité sexuelle, de son choix présumé, et de l'acceptation par notre société de tous les parcours individuels, décidés librement.  

Fake Orgasm
La problématique qui est ici posée et creusée, c'est moins celle de la liberté de faire ce que l'on veut de son cul que les infinies possibilités du génie humain. Nous, animaux si brillants, ne pourrions-nous pas, par quelques efforts appuyés, nous défaire des rôles sociaux, des devenirs pré-établis, en poussant jusqu'à ce qui fait de nous des hommes, des femmes (ou autre chose...), organes mis à part. Car ceux là sont secondaires. Être ce que l'ont a décidé. Je ne veux rien dévoiler, mais certains militent donc, pour être l'un, pour être l'autre, pour être les deux, ou pour abolir purement et simplement cette problématique, en essayant d'être autre chose, de vivre une sexualité unique, la leur. Ou d'abandonner le concept même de sexualité.
Par quels moyens provoquer le débat ? Je ne peux rien dire, tant la force et la sincérité de l'acte méritent d'être découvertes par vous seuls. Sérieux. J'ai envie de dire que « Fake Orgasm » est un documentaire à rebondissements. Positivement. La voie choisie par Lazlo Pearlman pour aller à la rencontre des rôles prédéfinis et les mettre à sac n'est pas un long fleuve tranquille, pour lui comme pour son public. Le portrait serré (et très mise en scène, avouons-le) que Jo Sol en fait pourrait bien être, si non pas le réveil de nos consciences, une pièce des rouages de la machine. De son côté, pari tenu. A vous de (le) voir.
Puis, il me paraît nécessaire de souligner que ce documentaire n'est que la première partie visible d'un chantier beaucoup plus important, mené par le réalisateur Jo Sol, et démarré en 2008. Ce dernier, autodidacte de formation, s'est lancé dans un tour du monde ambitieux, grâce auquel il entend rentrer en contact avec différentes cultures en ramenant toujours sur la table la question de la sexualité et de l'identité. Le but : accoucher d'une œuvre transversale et pluridisciplinaire, éclatée dans le temps (et l'espace ?), qui devrait rendre ses derniers morceaux en 2012. Belle ambition d'un cinéaste au style personnel, mais pas brouillon, et dont la mise en scène épouse agréablement le propos. Une premier chapitre prometteur.
J'ai lu quelque part que  Fake Orgasm avait les habits du film important. Jusqu'à preuve du contraire, ou jusqu'à ce que je trouve mieux, ce sera mon opinion. Modestement, il sera peut-être des documentaires qui auront entériner un peu plus dans vos caboches l'adage suivant, élémentaire et nécessaire : il n'y a rien de surprenant, à part la norme.

                                                                                                                              Martin, comte de Perrot

Festival du film espagnol de Nantes : Pain noir de Agustí Villaronga


C'est un fait, le franquisme est intrinsèquement lié au cinéma espagnol, et des auteurs comme Agustí Villaronga ne sont pas en mesure - heureusement - de se séparer de cette thématique ô combien précieuse pour se souvenir du passé mais surtout pour les générations à venir. La guerre civile semble, dans ce film, très lointaine, seule son ombre subsiste et menace l'apparente tranquillité d'un village où la peur de la mort contamine autant les adultes que les enfants qui n'ont jamais connu l'innocence, à l'image du jeune protagoniste qui dés la première scène, assiste à l'agonie d'un garçon. En somme, une version désenchantée d'un film déjà marqué par la terreur : Le Labyrinthe de Pan duquel Pain noir se détache par le caractère cru d'une mise en scène aussi organique que le film de Guillermo Del Toro. Organique dans le sens où tous les thèmes abordés sont liés les uns aux autres. Difficile pour Villaronga de parler d'homophobie et de pédophilie sans franquisme et la réciproque est de mise, pour autant qu'on accepte le regard sincère et de surcroît aucunement artificiel de son auteur.
Pan Negro
Cette densité scénaristque, sans quoi le film perdrait de sa valeur à cause d'une faiblesse toute relative dans la maitrise de l'espace, trouve cependant  un fil conducteur à travers le portrait de ce tueur d'oiseau qui est en l’occurrence ce jeune enfant auquel l'auteur accorde un dilemme aux résonances politiques, tiraillé entre l'acceptation d'une vie pauvre et la possibilité d’être accueilli dans une famille riche, ce qui lui permettrait de continuer ses études. De ses choix imposés, il s'en désiste afin d'assouvir un choix plus estimable : la liberté absolue de décider de ce qui est bien pour lui. Pan negro ou quand l'ombre du franquisme vient buter sur la lumière de Sartre.

                                                                                                                                       Tifenn Jamin

mercredi 23 mars 2011

Billet d'humeur : désacraliser Stanley Kubrick

Lolita
Cette année, Stanley Kubrick va une nouvelle fois recevoir les honneurs d'une rétrospective – jumelée avec une exposition – initiée par la Cinémathèque. L'occasion idéale pour mettre un terme au caractère sacré et du coup intouchable de son œuvre. Abattre cette pseudo-perfection serait rendre service à ses films tout en permettant d'éviter le pire : clore le débat. L'intérêt d'une rétrospective est moins le moment où l'on peut réaffirmer le génie de Kubrick qu'une bonne raison pour remettre en question ses films et le rapport qu'ils entretiennent avec le spectateur, d'année en année. Tant pis si cela  fâche ses apôtres, je ne porte pas tous ses films dans mon estime ; l'univocité de Orange mécanique me dérange. On peut y voir des « manques » et des « défauts », (pour reprendre les mots de Jean-Claude Biette), à savoir la façon avec laquelle Kubrick montre son incapacité à tenir tête au temps, donnée tout de même essentielle au cinéma, qui donnent pour autant une qualité indéniable au film et un terrain de réflexion florissant. Kubrick a souvent croulé sous les éloges d’un cinéma pur, une pureté qui est à mes yeux dangereuse car elle ne peut que restreindre le point de vue, alors qu’un éloge de l’imperfection ouvre un débat infini. Dire de Lolita, Barry Lyndon et Eyes Wide Shut qu’ils sont imparfaits n’est pas leur porter préjudice. Cerner les moments de creux et les dissonances à travers ses films montre un réalisateur qui pousse jusqu’à ses limites le matériau qu’il utilise. Absence de dramaturgie, cinéaste omnipotent et négation de l’acteur sont des nuances qui ne laissent pas transparaître une haine anti-Kubrick. Au contraire, elle permet de voir les dilemmes réjouissants. Qui clame au génie clame à la fainéantise.

                                                                                                                               Tifenn Jamin

lundi 21 mars 2011

La fureur de vivre/Outsiders/Foxes : l'adolescent à travers les générations


Il y a de films qui en provoquent d'autres.
C'est le cas de Rebel Without a Cause de Nicholas Ray, pierre fondatrice d'un cinéma sur l'adolescence ou plutôt d'un regard de l'adolescence sur le monde, qui ne cessera d'influencer les générations suivantes avec en premier chef Outsiders de Francis Ford Coppola. Ici, la filiation parle d'elle même, la dimension classique règne dans les deux cas, l'héritage du western se ressent à travers les duels : le duel au bord de la falaise dans La Fureur de vivre ; le duel final dans Outsiders. Chaque adolescent se voit conférer une entité tragique, un ticket vers l'éphémère. Une filiation nettement moins visible dans le dernier film chroniqué dans ce papier : Foxes de Adrian Lyne, réalisateur fortement attaché aux années 80. Du coup, fini l'héritage du western, place à une palette de couleurs criardes et surtout, une apparente absence de la permanence du passé. Même Outsiders se dégage de la mimesis par le regard nostalgique que porte Coppola comme s'il avait conscience qu'on ne pouvait pas refaire La Fureur de vivre, ce qui prouve l'existence d'un fossé séparant les trois films.
Mais qui a dit qu'on ne pouvait pas traverser les fossés ?

outsiders
Par-delà les antagonismes propres à chacun des films, on peut mettre sur le devant de la scène ce qui est fondamentalement inhérent au cinéma américain : la famille comme seul moyen de survivre dans une Amérique où le danger est à portée de main. Développant leur scénario vers la tragédie, ces films ne peuvent déboucher que sur une mort certaine liée au postulat familiale. La question – créatrice de suspense – est de savoir qui sera la victime. Un suspense fortement entravé par la dimension morale car lorsqu'on y regarde de plus près, c'est toujours l'enfant abandonnée, solitaire et coupé de sa famille qui fera les frais d'un épilogue tragique. Platon dans La Fureur de vivre cherche en James Dean, le père qu'il croit n'avoir jamais eu. Il évoque une mère qui l'a laissé à l'abandon et un père qu'il ne veut plus voir. S'en suit un geste désespéré pour sauver Dean, il croulera sous les balles des policiers. Outsiders présente un personnage encore plus secret par l'intermédiaire de Matt Dillon, héros sans foyer qui par manque d'une véritable famille, s'en créer une : les Greasers, une bande d'adolescent qui voit en lui la figure paternelle de substitution. On est tous à la recherche d'un deuxième père. En bon héros tragique, il tombera lui aussi sous les balles des représentants de la loi dans une une atmosphère quasi mystique proche de de La Fureur de vivre. Entre cinéastes classiques, on suit la ligne shakespearienne ! L'orphelin dans Foxes est interprété par Cherry Curry, reine du destroy. Dès l'ouverture, on insiste sur l'abandon qu'éprouve ce personnage : elle vit depuis deux semaines chez sa meilleure amie et le premier soubresaut dramatique voit le père flic (encore) lui courir après dans le foyer de son amie. Lorsqu'on à vu les deux films précédemment cités, il est difficile de ne pas s'attendre à voir ce personnage finir dessous des draps blancs tachés par le sang. Peut-être est-ce trop facile de voir en ses similitudes une dimension réactionnaire lorsqu'on connait la volonté de partage des cinéastes. Mes origines marxistes pourrait très bien alourdir la balance du côté réac - surtout au regard de la présence des policiers dans les trois films -  mais ma croyance dans le 7éme art en tant que volonté d'apprendre à vivre emporte tout sur son passage. Et puis, il faut le bien dire, des cinéastes comme Elia Kazan ont compilé à merveille ces deux aspects antagonistes. Tempérons nos accents révolutionnaires trop souvent irréfléchis. Néanmoins, mettons un point d'honneur à affirmer que les codes esthétiques changent mais la morale reste la même. Si révolution il y a, c'est dans les images.



Transversales

l'enfant abandonnée est toujours la victime (coming soon)


                                                                                                                                            Tifenn Jamin

vendredi 18 mars 2011

Verboten de Samuel Fuller : caméra citoyenne


De Samuel Fuller, on retient souvent la jouissance qu’il éprouve en nous racontant ses histoires ; la scène d’ouverture est un pur moment de divertissement. Ce qu’on a tendance à oublier, c’est la dimension révélatrice de ses films : on en ressort avec l’intime conviction d’avoir appris quelque chose. Verboten est l’exemple le plus criant, la fusion organique entre le pur plaisir de suivre le récit et la morale omniprésente. Fuller met en valeur une Allemagne trop souvent oubliée, celle de l’après-guerre, une Allemagne qui n’a plus d’identité et un terreau apte à révéler l’aliénation : aspect qui n’est pas sans rappeler Allemagne Année Zéro de Roberto Rossellini, toutes proportions dramatiques gardées. De cette aliénation sous-jacente, Fuller s’emploie à dessiner l’image d’un jeune soldat nazi convaincu que Hitler est la voix de la raison, avant que la révélation lui tombe dessus telle l’épée de Damoclès.

En effet, sa sœur l’incite à assister au procès de Nuremberg ou seront projetés des documents vidéos. Alors qu’une image de fiction juxtaposée à celle réelle d’une archive engendre parfois des procédés fumeux, Fuller trouve ici l’équilibre parfait afin d’amplifier la vérité et non pas de redoubler le réel. Une contradiction apparente puisque Fuller voit la fiction comme un tremplin vers le réel.
Mais revenons au fait, à cette scène jumelle de Fury (Fritz Lang) où la sueur, envahissant le visage du soldat, accompagne sa prise de conscience tardive ; c'est là qu'il finit par comprendre - le fondu est ici utilisé à son paroxysme – à quel point il imitait bêtement le régime nazi. Ce sont les images qui changeront notre personnage et non les paroles de sa sœur. Un personnage incarnant à lui tout seul la conscience d’une Allemagne effrayée par la vérité, qui pourrait aussi être un spectateur assistant la projection de Nuit et Brouillard de Alain Resnais. Cette idée que les images peuvent nous transformer révèle la confiance et la maturité de Fuller dans son art.

Tranversales


Une scène similaire est présente dans Fury de Fritz Lang pour dénoncer la barbarie de certains citoyens accusé de lynchage. L'utilisation d'archives - images de fiction dans ce film - sera un élément important pour la suite du procès. S'en suit une prise de conscience collective chez les accusés.

Verboten de Samuel Fuller



Fury de Fritz Lang




dimanche 6 mars 2011

Transversale : Jimmy Rivière vs Fighter

Le 9 mars prochain sortiront deux films aux résonances communes : Jimmy Rivière de Teddy Lussi-Modeste et Fighter de David O. Russell. Hasard du calendrier ou simple élucubration personnelle ? Je vous laisse le soin de trancher cette question qui mérite tout de même d’être posée pour plusieurs raisons :

Jimmy Rivière
1) Chacun des deux films nous raconte le parcours d’un homme déchiré entre son désir d’indépendance - figuré par la boxe - et par ses origines familiales de plus en plus étouffantes. De ce dilemme, Jimmy Rivière en fait sa colonne vertébrale alors que dans Fighter, c’est un thème parmi d’autres. Il n’est donc pas surprenant de voir le premier film travailler cette thématique avec beaucoup plus de nuances, ce que ne fait visiblement pas Fighter, qui préfère jouer la carte de la condensation thématique à grands renforts de cadrages trop démonstratifs. Une tendance qui ne cesse de miner le cinéma américain de ces derniers mois. Teddy Lussi-Modeste semble avoir retenu la leçon de Fritz Lang sur la nécessité dramatique : tous les changements de plan servent le récit ; la scène du baptême est en la preuve. De ce fait, on sent ce climat oppressant, à l’image de ce que peut ressentir Jimmy. Fighter part dans plusieurs directions à la fois : le dilemme de Micky, sa relation amoureuse, le constat social et la dépendance à la drogue de son frère – ce qui révèle, soit dit en passant, que la toxicomanie est la fausse-bonne idée du cinéma des années 90 : Requiem for a Dream et Trainspotting sont des films surestimés. On peut voir Jimmy Rivière comme un exemple à suivre dans la mesure ou il est préférable d'explorer un seul sujet que de suivre plusieurs chemins. Préférons la modestie des premiers films à la prétention des machines à oscars : Black Swan, Le Discours d’un roi et 127 heures.

Fighter
2) La question du réel anime les deux films. Fighter joue sur les apparences en croyant que mélanger des styles documentaires et télévisés permet de gagner en crédibilité. J’avoue être complètement réticent à ce genre de procédé trop souvent artificiel et indigeste. Autre défaut de taille, on a le droit à l’énième carton annonçant fièrement « d’après une histoire vraie » comme s'il fallait absolument reprendre le récit d’une vie dans sa totalité. Le cinéma n’est t-il pas l’art de la sélection ? Prendre un instant particulier et lui donner un caractère universelle. Ce carton sera cité dans le générique avec les deux frères à l’origine du film remerciant Hollywood de les avoir mis en scène. Juste ignoble. Tout le contraire de Teddy Lussi-Modeste : « J'ai toujours fait le choix de la fiction contre le documentaire. Tout simplement parce que le documentaire n'est pas mon regard. Je n'ai rien contre le documentaire, ni contre l'immixtion du documentaire dans la fiction. » Avec ces propos recueillis lors d’une interview, on peut se rendre compte à quel point le réalisateur a confiance dans le récit et, du coup, dans son scénario. Il ne cherche pas la facilité de l'apparence mais la profondeur des personnages qui sont les seuls à pouvoir augmenter le réel.

Conclusion : en partant de simples analogies, on observe que ce sont au bout du compte des antagonismes qui ressortent. Ce qui n’empêche pas de voir des ponts se dresser entre ces deux films.


Tifenn Jamin
  Un grand merci à l'homme de l'ombre ; Paul

mercredi 2 mars 2011

Santiago 73, Post Mortem de Pablo Larrain : Critique d'un homme qui dort

post mortem 1

S’il y a bien quelque chose qu’on peut difficilement reprocher au cinéma chilien, c’est bien son rapport à la mémoire collective, si humaniste et assurément loin du conformisme à la française : la Rafle, ça vous parle ? Pas moi.

Le troisième film de Pablo Larrain a cette particularité - qui en vaut mille - de nous raconter le parcours d’un fonctionnaire qui ne veut pas se confronter à la mémoire alors qu’il en est peut-être le témoin le plus privilégié.  Au moment où  le Chili vit ses heures les plus sombres via le suicide (ou assassinat ?) de Salvador Allende, Mario accueille les cadavres d’un coup d’Etat qui n’a pas manqué de perturber les consciences, sauf lui, qui semble plus préoccupé par la possibilité d’entamer une relation. Difficile alors de s’identifier à ce personnage qui traverse cette période tel un fantôme errant au beau milieu d’actions qui ne peuvent que nous révolter. D’où cette intense sensation de froideur que nous procure ce film, un vent tellement glacial que notre mémoire en sera marqué à jamais, souvenir cristallisé et douloureux mais nécessaire. Notre fantôme ne peut pas en dire autant.

On est pas si loin du sérial-killer de Tony Manero, monstre d’ impuissance obsédé par sa volonté d’assouvir ses désirs au détriment de la survie du peuple. En réalité, le cinéma de Pablo Larrain s’axe autour d’individualités qui ne sont pas belles à voir ; et dans Post mortem, on sent que le devoir de mémoire devient l’idée matrice qui fait de Pablo Larrain, un auteur absolument incapable de faire une seule concession à son personnage. On notera ses longs plans fixes d’une force tranquille, non dénués de rage et de violence. Inouï de la part d’un jeune réalisateur qui n’était pas né lors de ces événements tragiques.

Pour autant, ça ne l’a pas empêché de les vivre à travers ces scènes, où le personnage fait l’impasse sur un homme agonisant, sur ces centaines de cadavres entassés dans un couloir, jusqu’au dernier long plan, lourd de sens, où, bloquant la sortie à son amante, il enfouit par la même occasion ce lourd passé dont il aura tout vu sans regarder.
Mémoire et image ne font plus qu’un. A l’avenir, on imagine bien des cinéastes libyens témoigner de la répression actuelle .
  

Transversales 

Ne sous-estimons pas l'importance du hasard dans la cinéphilie! En découvrant Un homme qui dort de George Perec, je n’ai pas pu m’empêcher de créer un pont avec Santiago 73. On y retrouve la figure du fantôme opaque et déshumanisé qui traverse les rues de Paris comme Mario traversant les rues de Santiago. 

Santiago 73, Post Mortem

Un homme qui dort
                                                                                                                                         Tifenn Jamin