jeudi 7 juin 2012

Jack Kerouac : Sur la route de Walter Salles

Garrett Hedlund et Sam Riley dans Sur La Route

Quelle fut ma déception, lorsque je découvris l'adaptation cinématographique d'un roman qui fut pour moi, l'un de mes premiers chocs littéraires. Peut-être même, le roman qui me fit comprendre que la littérature est aussi une histoire esthétique. Ce roman se prénomme Sur la route ; il est signé Jack Kerouac, auteur souvent restreint à tort à ce seul monument, alors que sa bibliographie est peuplée de véritables tours de forces, poussant la littérature américaine dans ses retranchements.

Bien que sa forme soit plus classique que Sur la route, son premier roman ;The Town and The City est de part son ambition démesuré, un grand livre sur la famille américaine,qui n'a rien à envier sur ce point aux Raisins de la colère de Steinbeck. Ce dernier a eu les honneurs d'une adaptation prodigieuse ; le manuscrit de Kerouac ne peut pas en dire autant et la faute en revient beaucoup à Walter Salles. Chose étrange, c'est un précieux document - lisible à l’occasion de l'excellente exposition Sur la route au musée des lettres et manuscrits – qui nous renseigne sur l’échec total qu'est le film. Ce document en question est une lettre de Jack Kerouac à Marlon Brando ayant pour objet (ou pour désir) de voir Brando s'emparer des droits du livre et d'y jouer le rôle principal auprès de James Dean. Kerouac expose très clairement des idées de mise en scène. On apprend qu'il voue un amour infini pour le cinéma français des années 30 même s'il y faisait déjà référence, par l'intermédiaire de Quai Des Brumes, dans un texte consacré à Voyage au Bout de la Nuit. De ce cinéma, il en retient la spontanéité, l'improvisation et la fraîcheur. En un mot, une certaine liberté qui semble, pour lui, absente du cinéma américain. Une lettre quasi prophétique puisqu'elle annonce la lente mutation du cinéma américain des années 70.

extrait de lettre de Kerouac à Brando

Que retient donc Walter Salles de cette lettre ? Rien si ce n'est un désir de contempler les paysages américains. Ses choix de mise en scène vont à l'encontre de cette même liberté qui anime le manuscrit. C'est un véritable travail de castration qu'il opère ; tout semble programmé. Aucun plan, aucun changement d'angle nous surprend alors que ce qui caractérise si bien le cinéma français des années 30, c'était que chaque plan, chaque action était menacé à tout moment par un choix de mise en scène, qui ouvrait de ce fait le champ des possibilités. Le stoïcisme de Walter Salles n'est que fortuit et sa mise en scène décorative cache tout juste la coquille vide qu'est son film. Oubliez donc le regard ontologique qui stimule en filigrane le rouleau original, ce film n'a rien à dire si ce n'est de faire la publicité du roman. Un comble pour un cinéaste qui avait su, si bien parler de l’Amérique latine dans Carnets de Voyage. A ceux qui désirent voir Kerouac à l'écran, je leur conseille de s'orienter vers My Own Private Idaho. Vous y retrouverez la liberté si malmenée dans le film de Walter Salles.


Sur La Route de Jack Kerouac : L'épopée, de l'écrit à l'écran
Du 16 mai au 19 août 2012
Musée des lettres et manuscrits, Paris

                                                                                             Tifenn Jamin

samedi 2 juin 2012

Coté Court 2012 : Les Anges de Port-Bou de Vladimir Léon



Élise Ladoué et Laurent Lacotte dans Les Anges de Port-Bou


Je me souviens d'un voyage à Lisbonne, suite plus ou moins logique d'une lecture (Pereira Prétend de Antonio Tabucchi) et d'un visionnage (A Caixa de Manoel de Oliveira). Je me souviens d'un fantasme à peine avoué, celui de retrouver l'odeur d'une page, d'une image ou mieux encore, le plaisir de suivre les sentiers de la fiction.

Ce fantasme-la, je peux aujourd'hui le crier haut et fort et nul doute que le nouveau film de Vladimir Léon à sa part de responsabilité. Les Anges de Port-Bou est cet obscur objet de désir, qu'on personnalise au gré de notre mémoire et qui atteint l'intime lorsque Seraphin l’obsessionnel contraint Gabrielle à lire un texte de Walter Benjamin avant qu'un groupe de touristes n’empêche le film d'accomplir son désir. Tant pis, Seraphin trouvera par la suite des ressorts narratifs permettant au récit de glisser vers un fantastique d'une transparence limpide, dépourvu d'effets visuellement édulcorées. Tout ça pour instiller dans l'esprit du lecteur, l'idée que ce film est irradié par l'humilité de son cinéaste, tellement confiant dans son scénario qu'il n'a pas besoin de faire de la mise en scène une histoire de surlignage - le mal par excellence du cinéma contemporain.

Quand on en vient à l'essence du film, on se rend compte que Vladimir Léon est un auteur animé par le travail de la mémoire. Sur ce point, il rejoint ses précédents films :  Le Brahamne du Komintern et Loin du Front (co-réalisé avec Harold Manning).
Bien qu'il n'ait jamais physiquement rencontré Walter Benjamin, Seraphin essaye tant bien que mal de se rapprocher du philosophe en entreprenant une marche quasi mystique. A l'inverse de ce rapport indirect, Gabrielle éprouve un rapport direct à la mémoire puisque ses aïeux sont des réfugiés républicains. Pour autant, le prologue du film présentent deux personnages que tout semble opposé mais l'art du récit, c'est aussi de créer des passerelles entre les personnages, de jouer avec leurs oppositions et leurs similtudes afin qu'une évolution continue irrigue le film, qui ne semble jamais menacé par l'inertie - l'autre grand mal du cinéma contemporain.

En fin de compte, sous la transparence et la perméabilité de la mise en scène, le film encourage le spectateur à suivre les pas de ses modèles. A toi lecteur de trouver ce qui te relie avec tes auteurs favoris.

  • LES ANGES DE PORT-BOU
    sélectionné dans la Compétition Fiction du Festival Côté Court 
    sera projeté 
    Jeudi 7 juin à 18 h 00
    Dimanche 10 juin à 22h00
    Mercredi 13 juin à 21h00 (séance officielle, en présence de l'équipe)
http://www.cotecourt.org  


                                                                                                                                             Tifenn Jamin
Un grand merci à Harold Manning et Nicolas Thévenin.