Quelle fut ma déception, lorsque je
découvris l'adaptation cinématographique d'un roman qui fut pour
moi, l'un de mes premiers chocs littéraires. Peut-être même, le
roman qui me fit comprendre que la littérature est aussi une
histoire esthétique. Ce roman se prénomme Sur la route ;
il est signé Jack Kerouac, auteur souvent restreint à tort à ce
seul monument, alors que sa bibliographie est peuplée de véritables
tours de forces, poussant la littérature américaine dans ses
retranchements.
Bien que sa forme soit plus classique
que Sur la route, son premier roman ;The Town and The
City est de part son ambition démesuré, un grand livre sur la
famille américaine,qui n'a rien à envier sur ce point aux Raisins
de la colère de Steinbeck. Ce dernier a eu les honneurs d'une
adaptation prodigieuse ; le manuscrit de Kerouac ne peut pas en
dire autant et la faute en revient beaucoup à Walter Salles. Chose
étrange, c'est un précieux document - lisible à l’occasion de
l'excellente exposition Sur la route au musée des lettres et
manuscrits – qui nous renseigne sur l’échec total qu'est le
film. Ce document en question est une lettre de Jack Kerouac à
Marlon Brando ayant pour objet (ou pour désir) de voir Brando
s'emparer des droits du livre et d'y jouer le rôle principal auprès
de James Dean. Kerouac expose très clairement des idées de mise en
scène. On apprend qu'il voue un amour infini pour le cinéma
français des années 30 même s'il y faisait déjà référence, par
l'intermédiaire de Quai Des Brumes, dans un texte consacré à
Voyage au Bout de la Nuit. De ce cinéma, il en retient la
spontanéité, l'improvisation et la fraîcheur. En un mot, une
certaine liberté qui semble, pour lui, absente du cinéma américain.
Une lettre quasi prophétique puisqu'elle annonce la lente mutation
du cinéma américain des années 70.
extrait de lettre de Kerouac à Brando
Que retient donc Walter Salles de cette
lettre ? Rien si ce n'est un désir de contempler les paysages
américains. Ses choix de mise en scène vont à l'encontre de cette
même liberté qui anime le manuscrit. C'est un véritable travail de
castration qu'il opère ; tout semble programmé. Aucun plan,
aucun changement d'angle nous surprend alors que ce qui caractérise
si bien le cinéma français des années 30, c'était que chaque
plan, chaque action était menacé à tout moment par un choix de
mise en scène, qui ouvrait de ce fait le champ des possibilités. Le
stoïcisme de Walter Salles n'est que fortuit et sa mise en scène
décorative cache tout juste la coquille vide qu'est son film.
Oubliez donc le regard ontologique qui stimule en filigrane le rouleau
original, ce film n'a rien à dire si ce n'est de faire la publicité
du roman. Un comble pour un cinéaste qui avait su, si bien parler de
l’Amérique latine dans Carnets de Voyage. A ceux qui
désirent voir Kerouac à l'écran, je leur conseille de s'orienter
vers My Own Private Idaho. Vous y retrouverez la liberté si
malmenée dans le film de Walter Salles.
Sur La Route de Jack Kerouac : L'épopée, de l'écrit à l'écran
Du 16 mai au 19 août 2012
Musée des lettres et manuscrits, Paris
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