jeudi 28 avril 2011

Billet d'humeur : Woody dans tous ses états

Humphrey Bogart et Ida Lupino dans High Sierra

« Si je me mettais un truc pareil en tète, je lui trouverais sans doute un emploi. Je le verrais bien dans un rôle à la Bogart (...) Un gros dur, vous voulez dire ? Oui, oui, il pourrait sans doute très bien jouer ça »

Décidément, ces mots ne cessent de faire des aller-retour en moi. J’irais même jusqu’à dire que je les ai portés aussi longtemps que ne dure la filmographie de Woody Allen. Pas que j’éprouve de la haine envers le bougre newyorkais, mais il faut bien le dire, il atteint des limites en commettant un attentat contre tout un cinéma et pas n’importe lequel : le cinéma qui nous fait rêver. L’âge d’or du cinéma hollywoodien auquel Humphrey Bogart a prêté un charisme, un visage et de multiples expressions aux rides subtiles. De la bouche d’un cinéaste qui fait rêver des milliers de spectateurs, surtout des filles, (emmener une fille voir un film de Woody relève de la drague), ses propos deviennent révoltants.
- Bon, tu en as fini avec ce monologue ? Avec toi, on a l’impression que c’est une affaire d’état. Relativise un peu. Je mets ma main à couper que ta colère vient d’une frustration.
- Tout naît d’une frustration.
- Oui, ça vient surtout de tes déboires pour conclure avec un fille suite à un Woody Allen. Redescends sur terre !
- Rien à voir, il saccage le cinéma avec ses mots. Mettre sur un même piédestal un acteur humble et un type obsédé, quelle connerie ! Comparer un impuissant et une figure paternelle imperturbable, un casseur de rêve et un faiseur, de rêve. On ne mélange pas les cauchemars et les rêves !
- Tu mets dans le même sac humilité et star hollywoodienne. On me l’a fait pas celle-là !
- Bogart n’est pas comme certaines stars qui passent leur temps à se la péter. Walsh lui à confié à deux reprises un second rôle dans les Fantastiques Années 20 et Une Femme dangereuse. Il a accepté sans broncher et il joue admirablement les seconds couteaux. Lorsqu'il revient sur le devant de la scène, avec High Sierra, c'est pour se prendre un râteau ! Peu de stars sont capables de se mettre au service d’une telle fragilité…Et puis n'oublions pas Le Grand Sommeil et Le Port de l'angoisse. Deux films de Howard Hawks, le cinéaste qui a toujours filmé à hauteur d'hommes. Sarkozy est trop petit pour jouer chez Hawks. Trop égocentrique pour partager l'affiche avec des actrices comme Ida Lupino.
- Ah oui, c’est pas avec elle que tu vas au cinéma ce soir ?
- Oui, c’est ça.
- Voir le nouveau Woody Allen, je suppose ?
- Nan, j’ai pas envie foirer ce coup !

 
                                                                                                                                  Tifenn Jamin


jeudi 14 avril 2011

It Was On Earth That I Knew Joy de Jean-Baptiste De Laubier



Commençons d’abord par la promesse d’abattre un préjugé, tout en faisant le point sur une catégorie de films victime d’une discrimination surement toute relative. A ce jour, le court-métrage reste sous-exposé, pour preuve : son plus fidèle représentant, Chris Marker, semble être petit à petit oublié, un comble pour un cinéaste accaparé par le thème de la mémoire. On l’associe en particulier à Sans Soleil, au détriment de ses dizaines de formats courts tout aussi importants. Promettons nous - c’est aussi un appel aux rédacteurs de CineKlectic - de mettre sur un même piédestal court et long métrage, surtout lorsque le premier format offre l’opportunité de le diffuser plus facilement.

Et quel plus beau titre que It Was On Earth That I Knew Joy de Jean-Baptiste De Laubier pour entamer cette rubrique. On éprouve une nouvelle fois le plaisir de voir un artiste issu de la scène éléctro passer derrière la caméra - au même titre qu’un Quentin Dupieux - ce petit objet visiblement démocratique. Outre la diffusion gratuite, cet aspect technique n’est pas étranger à l’accessibilité pour tous à ce film, où la poésie surgit de la simplicité.

Fait sur la fin du monde It Was On Earth That I Knew Joy est un hommage à La jetée de Chris Marker, son œuvre la plus réputée et peut-être la plus influente. Or, les affiliations sont à discerner parmi les multiples qualités d’un autre court-métrage : 2084 avec qui le film de Jean-Baptiste De Laubier partage un certain goût pour l’archivage - présence du magnétophone, voix synthétique - et une démarche rétrospective : le futur regarde le passé afin de sublimer le présent. Ces deux aspects participent au travail de mémoire, réalisé à plusieurs échelles ; la mémoire collective évidemment, à laquelle il faut ajouter une mémoire de type personnelle : une jeune femme perd la mémoire ; la caméra capte sa beauté, ses instants volés et son regard éternel. A ce niveau, une communion s'installe entre spectateur, cinéaste et acteur, pour un film qui atteint lui aussi des sommets éternels..
Tout comme Georges Rouquier sur Farrebique, le film englobe l’universel comme si le destin se jouait dans les racines d’une poésie sure d’elle à condition qu’elle n’oublie pas sa mémoire.

Ce film est disponible ci-dessous :


Sixpack France presents "It Was On Earth That I Knew Joy" Online Premiere on Fubiz from Sixpack France on Vimeo.

Un grand merci à Jacky Goldberg pour cette découverte majeure

                                                                                                                                       Tifenn Jamin