vendredi 17 juin 2011

Etonnants Voyageurs – La Montagne magique, sur les chemins du Kailash,

Documentaire de Florence Tran et Simon Allix.

« Ceci n'est pas un documentaire » pourrais-je dire. Pas un docu, non, mais plutôt une prière, pour les morts et les vivants.

Ça parle d'une montagne sacrée du Tibet : Kailash, demeure du dieu Shiva, le principe cosmique des destructions qui précèdent les créations. À ses pieds, le lac Manasarovar, son pendant féminin, étendue bleue et fragile comme du cristal liquide dont le breuvage apporterait guérison. Pour les bouddhistes, les hindous et les adeptes du chamanisme Bön, faire le pèlerinage de ce lac et de cette montagne déclenche une avalanche de bienfaits, une purification intérieure et le bonheur dans la vie future.

On sourirait face à ces superstitieux, pouilleux nomades tibétains avec qui les deux réalisateurs sympathisent durant leur rush. Mais, dès le début, Florence et Simon nous avertissent que ce sont d'abord eux les simples, eux les naïfs et les amateurs : pour l'un, le documentaire est un prétexte, il veut surtout rendre hommage à son frère mort brutalement et qui était profondément fasciné par cette montagne ; pour l'autre, c'est avant tout une quête spirituelle, une marche pour jouer les prolongations avec la vie, et y trouver – qui sait ? – un sens.

On sera donc déçu si l'on s'attend à une dénonciation en règle du gouvernement chinois, si l'on espère une fresque sur la misère crasseuse des Tibétains. Les deux Français ont filmé ce qu'ils pouvaient, mais ils avaient presque toujours dans le dos un guide chinois pour les surveiller. Cependant, leurs mots et leurs images disent l'essentiel. Le Tibet est le Far West de la République
populaire de Chine ; les Tibétains sont les Amérindiens du XXIe siècle, à parquer en cas de pénurie de folklore. Il faut les civiliser selon l'esprit du Parti, par la milice et l'école, l'outrage et l'humiliation ; nier leur culture pour dépeupler leur âme.

Or, ces Tibétains, pour certains en tout cas, sont têtus comme des mules, et bêtes. Ils ne veulent rien comprendre. Ils continuent vaille que vaille à graviter autour de la montagne sacrée ; ils s'obstinent à lever leurs regards, beaux et lisses d'une étrange douceur vers ce Kailash qui les contemple, visage barbu, immobile et sourcilleux que coiffe une pyramide de neige éternelle. Ils vont, en couple, en famille ou solitaires, accomplir le tour du mont et du lac, une fois, cinq fois, mille trois fois... Ils parlent du saint homme Milarépa, ils disent que l'essentiel dans une vie, c'est d'être bon et secourable, et qu'arpenter les cimes légendaires du Tibet peut, sinon octroyer le bonheur, au moins se faire dans une joie calme et muette.

Et nos deux voyageurs de les suivre eux aussi, tout en haut, à plus de six mille mètres d'altitude face à face avec le Kailash. L'un prie pour un mort, l'autre pour vivre...

Quant à moi, cet article m'ennuie avant même que je le finisse, car je raconte, avec des mots, des images qui, elles-mêmes, ne sont que les reflets d'une réalité tout en poussière et en roc, brouillée de neige et rythmée par les chants humides du Manasarovar. Avec des visages d'homme, aux yeux bridés, aux cheveux noirs badigeonnés de beurre de yack qu'il faudrait prendre le temps de lire et de saisir. Quitter l'écran pour s'en aller éprouver le monde par la peau, le sang et le souffle...

Ma question aux réalisateurs, je n'ai pas pu la poser, parce que presque tous les gens devisaient surtout de politique, et des Chinois – toujours ces Chinois. J'avoue être peu enclin à discuter confortablement de totalitarisme dans l'Auditorium du Palais du Grand Large de Saint-Malo. Simplement, je voulais savoir comment était l'aube, quand on dort blotti contre le Kailash ; quand, juché sur six kilomètres de pierre, on voit rire le soleil et s'éveiller les eaux soyeuses du Manasarovar. Je me demandais si ce n'était pas à cause de ce genre de détails – pardonnez ma naïveté – que les Tibétains s'entêtaient à vivre – et tourner, tourner encore et encore dans ce vieil Himalaya, parmi les vents, les mont, les glaces et la beauté.





Paul Tran

jeudi 16 juin 2011

Etonnants voyageurs 2011 - Dialogue au bord d'un quai : interview de Denis LAVANT

Denis Lavant dans Merde
Vingt ans après, quel regard portez-vous sur les films de Leos Carax qui sont devenus cultes pour certains mais oubliés par une majorité de personnes ?

Je n’ai pas tellement de regard sur ses films car je n’ai jamais été spectateur de son cinéma, vu que je suis complètement impliqué. C’est plutôt lié à ma vie, c’est-à-dire que Léos, c’est la première personne qui m’a fait rentrer dans le monde d’un cinéma de qualité, un cinéma d’auteur, un cinéma de pensée et d’esthétisme. Je m’en suis pas rendu compte sur le moment car pour moi c’était du boulot et un engagement. Puis, il m’a fait découvrir des choses, un domaine que je ne connaissais pas : le cinéma. En même temps, il m’a fait rentrer de plain-pied dans son univers, puisque j’ai incarné une projection de lui-même. Sur chacun de ses films, j’ai appréhendé une dimension de la vie qui m’était inconnue, une expérience de Leos qui a un an de plus que moi. A mon avis, c’était comme un grand frère qui m’initiait à une attitude, une pensée, une conception de l’existence, et ça c’était très fort sur Mauvais Sang et les Amants du Pont-Neuf même si ça n’a jamais été confortable de tourner avec Leos, et puis c’était pas un engagement à vie.
Après le premier film qu’on a fait, je croyais que ça allait s’arrêter là, je pensais pas qu’on allait faire trois films ensemble, et ça fait vraiment partie intégrante de ma vie des années 80, en fait. C’est très formateur à tous les niveaux : un niveau artistique et un niveau humain. Après, les Amants du Pont-Neuf, je l’ai peu vu car lorsqu’on voit un film dans lequel on a joué, forcément on se projette pas dans l’histoire qui est racontée, pas dans la fiction mais dans sa réalité au moment du tournage, et, des fois, c’est lourd à porter surtout sur Les Amants du Pont-Neuf. Ce que je trouve regrettable par rapport à Leos, c’est qu’il est un cinéaste mis de côté, mis en marge. De sa faute, non. Mais c’est quelqu’un qui a une pensée. Chaque film est un témoignage de l’époque. Mauvais sang est particulièrement en phase avec les années 80 et ce qui est regrettable, c’est qu’il soit méprisé par une partie de la profession, donc ça contamine le public. Je trouve ça scandaleux la manière dont a été traité Les Amants du Pont-Neuf. Pendant les trois ans qu’on a marné sur ce film, ç'a été boycotté par la critique qui a vu que le cout du film ! Or, depuis, j’ai vu des films qui ont couté énormément cher pour pas grand-chose. Pour moi, ça raconte quelque chose de social, d’infiniment poétique et d’humain, et ça c’est important. Il a une vision du monde qui, avec sa lucidité, est très forte, très puissante. C’est important qu’il tourne. Dieu merci ! on va remettre le couvert cet été avec un long-métrage ensemble.



Quand avez-vous rencontré Leos Carax ?

Il était venu me voir quand j’étais au conservatoire. À l’époque, il y avait pas mal de jeunes cinéastes qui sollicitaient les élèves du conservatoire pour faire un court métrage, et il m’avait fait lire le scénario de Boy Meets Girl. Lui, je ne sais pas où il m’avait vu, peut-être dans les fichiers ANPE. On s’est rencontré, j’ai lu le scénario, j’ai pas compris grand-chose. C’était très loin de ce que je vivais à l’époque, et puis j’avais pas forcément une volonté absolue de faire du cinéma. Je commençais à travailler au théâtre et ça me convenait très bien… C’est toujours le théâtre qui a primé. J’ai lu son scenario et j’ai vu quelques détails qui m’ont touché, parlé, en écho avec un comportement, une manière d’être dans l’imaginaire. Une scène m’avait marqué, c’est quand Alex passe sur le Pont-Neuf avec appareil à musique, un casque et des écouteurs, et qui voit deux amoureux s’embrasser. Puis il leur jette de la tune comme si c’était un spectacle forain. Cela montre qu’il y a un humour par rapport à la vie qui est très fort, qui n’est pas perceptible dans tous ses films, plus dans les derniers, surtout dans Tokyo ! (film à sketch). C’est là qu’on s’est retrouvé. Eh bien, c’est la chose la plus pertinente, la plus insolente en bien que j’avais jamais lue. J’étais très heureux de retrouver Leos pour faire Merde. Ça nous a mené jusque là, jusqu’à Merde
La rencontre n’a pas été un coup de foudre. Ça été la rencontre entre un jeune cinéaste et un jeune comédien. Le temps a passé, et puis est venu le moment où il a pu faire le film, six mois après ; et là, ça pas été du tout moi qui était évident pour faire le rôle. Je ne sais pas ce qui l’a déterminé pour que j’incarne une projection de lui-même, en quelque sorte, parce que Boy Meets Girl est particulièrement autobiographique, je pense. Il a vu énormément de comédiens de mon âge en faisant des vidéos. D’ailleurs, j’ai revu ça, c’est drôle. Et moi, j’ai attendu, je m’en foutais un peu. Je me disais que je pourrais faire du cinéma, ça doit être intéressant, moins fatigant que le théâtre ; je me trompais un peu. Et puis un jour mon agent m’appelle : « Bon voilà, il t’a choisi ». J’ai dit : « Bon, ok d’accord ». On est parti comme ça. Après, c’était pas du tout une évidence que c’était réussi, que c’était une relation créatrice et qu’il y avait quelque chose d’important qui se passait. J’étais le premier surpris quand il est venu me voir, deux ans après pour me proposer Mauvais Sang, scénario qu’il avait écrit pour que je joue le rôle. Ça m’a touché, effrayé, car Mauvais sang c’était redoutable comme partition pour un acteur. Je lisais le scénario, et toutes les trois pages il y avait une chose difficile que je savais pas faire : sauter en parachute, faire de la moto, courir, etc. Il n’y avait que des enjeux héroïques, et donc je m’y suis mis. Ç'a été un très beau tournage avec une très belle dynamique. Puis après, on est tombé dans la nasse des Amants du Pont-Neuf et  la misère sociale. Mais bon, je regrette pas, c’était une expérience très forte et assez usante.

Comme tous les tournages de Leos ?


Bah, c’est toujours particulier. Je crois que c’est l’artiste, le cinéaste le plus exigent qui soit. Et qui a une exigence à tous les niveaux, pour tous les corps de métiers. En fait, il amène chacun à se dépasser : les comédiens comme les décorateurs, la lumière, les costumes. Il amène tout le monde à raconter son rêve. Ça me fait penser au chaman indien, avec une vision, une tribu qui se met à construire des choses, à tresser des tissus pour raconter le rêve de ce chaman.




La deuxième partie de l'interview sera publié très bientot sur ce blog : Denis Lavant nous parlera de Céline et de son intervention dans l'émission de Taddeï


propos recueillis par Tifenn Jamin

mardi 14 juin 2011

Etonnants Voyageurs 2011 – Fragments d’une révolution : éloge de l’amateur.



Qu’on soit clair dès le début, ce film ne risque pas de remporter l’adhésion de tous. Pour cause, on a l’impression d’être devant un work in progress. Autrement dit, une œuvre inachevée qui a pour réalisateur(s) une ou des anonyme(s). De cette pierre jetée à notre figure, on retient les évènements iraniens de 2009 : élections truquées, manifestations, répressions que nous raconte cette anonyme rongée par la frustration de ne pas être présente sur place, enfermée dans un appartement parisien. Heureusement pour elle, l’Iran compte des centaines de cinéastes. Des plus fameux, Kiarostami, Panahi, aux plus inconnus. Et ces derniers ont autant de mérites que ces illustres artistes puisqu’ils nous prouvent qu’aujourd’hui, à travers l’utilisation d’un simple portable, il est possible de capter la réalité et pas n’importe laquelle, une réalité si dérangeante  pour certains et pourtant si forte qu’elle nous prend aux tripes. Qu’elles soient floues ou sales, il n’empêche qu’on s’identifie à ces images profondément universelles. De la révolution citoyenne en Espagne à cette révolution verte en passant par les évènements de la place Tahrir en Egypte, ces images provoquent la même colère, la même indignation et nous poussent à la révolte, à l'instar cette anonyme qui est, comme nous, spectatrice.À mesure que le film avance, on se rend compte qu’un grand film collectif anonyme se joue devant nos yeux dont l’amateurisme apparent est une qualité.


  
         Tifenn Jamin

mardi 7 juin 2011

Lettre ouverte à la cinémathèque de Bretagne


Chère cinémathèque de Bretagne

Je connais le devoir qui t'anime. Je l'admire et je m'y reconnais, surtout  lorsque je vois ton logo apparaitre devant les films de mon ami René. C'est pour cette raison qu'au moindre déraillement, ma colère surgit soudainement ! En lisant ta newsletter (Entrefil n°25), j'ai eu le malheur de voir que tu soutenais un documentaire basé sur un livre de Patrick Buisson. Ce dernier nom me dérange puisqu'il représente à mes yeux le symbole même du révisionnisme : il suffit de voir ses interventions sur la chaine Histoire et son manichéisme erroné autour de la guerre d'Algérie et de l'occupation nazie. Ses prises de positions anticommunistes, anti-immigrés prennent une dimension d’inquisition dans son ancien fief, la revue Minute. Mais ses méfaits ne s’arrêtent pas là ! A l’heure où le peuple espagnol se lève contre le pouvoir corrompu, Buisson s’avère être l'ami des puissants, directeur d’un cabinet de sondage, conseiller de Sarkozy ; il lui apporte la dose d'extrême-droite propre à tout gouvernement de droite. Buisson est un homme de l'ombre, dangereux de surcroit ; et je suis étonné de ne voir aucune note sur ce personnage haineux. J'irai même jusqu'à dire que Buisson et les valeurs qu'il incarne sont l'antithèse de ce que tu défends. N’oublie pas que tu as longuement soutenu des résistants, tels que René Vautier, et une mémoire que je qualifierais de populaire. C’est la Bretagne de la Résistance ! Rien à voir avec Buisson qui préfère faire la part belle à la France virile tout en dénigrant les assassinats, les viols commis sous l’occupation. Tu es la mémoire collective, il est l'amnésie. Comme toutes les routes dangereuses, Buisson mérite des indications, des avertissements afin de sauvegarder les citoyens.
Bien que ce coup de gueule soit personnel, il est partagé par de nombreuses personnes qui tendent à une meilleure compréhension des peuples et de leur histoire.
Enfin, chère cinémathèque, je te prie de ne pas tomber dans les travers qui engendrent la haine.

                                                                                                                                            Tifenn Jamin

Pour en savoir plus sur Buisson, je vous conseille la lecture de deux articles publiés dans Télérama et sur Rue 89