mardi 4 octobre 2011

Critique : A chaque aube je meurs de William Keighley.

James Cagney et George Raft

Lorsqu’on demanda à John Ford, ce qui l’avait amené à Hollywood, il répondit « le train ». Sous l’apparence comique de cette réponse se cache une modestie imparable ainsi qu’une vision concrète des choses. Des traits de caractère propres au réalisateur de La Prisonnière du désert autant qu’à un petit groupe de réalisateurs que Manny Farber qualifiait de « cinéastes termites » dans lequel figuraient Howard Hawks, Raoul Walsh, Samuel Fuller ou encore William Keighley, cinéaste victime de l’amnésie hollywoodienne. A ce jour, A chaque aube je meurs reste son film le plus direct, un marathon d’une heure et demi emportant sur son passage les sentiments les plus honnêtes qu’il soit. Rien que les quinze premières minutes sont d’une efficacité et d’une lisibilité exemplaires. James Cagney - aussi explosif que dans les films de Walsh - interprète un journaliste, animé par une soif de vérité qui le poussera à vouloir dénoncer un juge corrompu avant que celui-ci dresse un complot, envoyant Cagney en prison. 
L’exposition faite, le film peut reprendre son souffle tout en construisant subtilement ce qui intéresse le plus Keighley : la dualité entre un journaliste innocent et un gangster téméraire et retors. Une scission qui s’estompera au moment où la femme de Cagney rend visite au gangster, lui montrant que peu de choses séparent les deux hommes. Tous deux se battent contre des politiciens véreux et des flics corrompus. L’un a choisi la facilité et le crime, l’autre a choisi de mener son enquête sans que cela n'entrave les valeurs démocratiques. A plusieurs reprises, on les entendra prononcer le mot « réglo » symbole de l’honnêteté existante entre les deux hommes. Il est clair qu’un tel dispositif ait pu  influencer Michael Mann sur Heat, une œuvre dont le dessein, comme pour Keighley, est de montrer les rapports complexes qu’entretiennent les Hommes et la société. Manny Farber a surement visé juste lorsqu’il sous-entend que ce sont les films les plus concrets et substantiels qui résistent à l’épreuve du temps. A la revoyure, A chaque aube je meurs s’avère être le polar le plus réussi de l’année, haut la main !




                                                                                                                             Tifenn Jamin

Portrait : Jean-Maurice Bigeard, programmateur de l'Absurde Séance - Nantes



Celle ou celui qui a déjà fréquenté les salles de l’Absurde Séance de Nantes se souvient forcément des présentations hilarantes de Jean-Maurice Bigeard. Il suffit de l’entendre parler de ces comédies italiennes « aussi indigestes qu’un kilo de loukoum », ou de la façon avec laquelle il peut vous présenter certains films comme des « merdes ». Derrière ses qualités de présentateur bien connues des habitués se cachent un cinéphile exigeant - sa vidéothèque a de quoi faire pâlir - qui ne mâche pas ses mots quand il s’agit de détruire les réputations surestimées de Tarantino et Matrix. Lorsqu’on lui demande quels films récents l’emballent, on se rend compte à quel point la liste est mince. Alors l’agitateur de conscience nantais serait-il aussi un cinéphile désabusé ? Au regard du parcours de l’Absurde Séance depuis son ouverture en 2000 - avec Pink’s Floyd’s The Wall -, son exigence exemplaire se compile avec un amour du cinéma de genre revendiqué haut et fort, fier d’avoir grandi aux côtés du cinéma gore, érotique, Kung fu et western spaghetti au lieu de suivre les adeptes d’un « cinéma bien-pensant et aseptisé ». D’où sa volonté de transmettre certains classiques tels que Zombie, Cannibal Holocaust ou Gorge Profonde tout en montrant des « perles rares », ces petits films oubliés donnant l’impression d'être le premier spectateur.
La place de Jean-Maurice a beau être marginale dans le milieu culturel nantais, il n’empêche que le succès de l’Absurde Séance se mesure au fil des années avec comme apothéose, la Nuit fantastique d’octobre 2010. Imaginez une salle de trois cents personnes sous le choc devant le mille-pattes humain de The Human Centipede, perplexe devant I’ll Never Die Alone et mort de rire devant les Megapiranhas. C’est un véritable dialogue de cinéphiles qui s’instaure entre le public et les films. On est loin des séances bourgeoises et bien-pensantes du festival du Film Britannique de Dinard. Outre ses qualités exutoires, l’esprit de l’Absurde Séance passe aussi par la volonté de « faire l’éducation d’un genre autre ». Une dimension culturelle entravée par le monopole de certains festivals parisiens, qui ont bien compris qu’un tel cinéma a son public. En tant que critique amateur, le festival de l’Absurde Séance - à ne pas confondre avec les séances régulières -  s’avère être la seule occasion de parler de l’actualité du cinéma de genre, la faute aux sorties nationales souvent insignifiantes.

On attend impatiemment les nouveaux films de Lucky McKee (The Woman), James Gunn (Super) et Uwe Boll qui revient avec un film sulfureux : Auchwitz.

Le festival de l'Absurde Séance se tiendra du jeudi 3 au samedi 8 octobre 2011.


www.absurdeseance.fr

                                                                                                                   
                                                                                                                                        Tifenn Jamin