J'aimerais ici parler d'un film qui, s'il n'est pas de la compétition pour ce Festival du cinéma espagnol nantais, et, qui plus est, sorti en janvier, sera cette semaine diffusé par trois fois, et mérite qu'on s'arrête sur lui, en blockbuster qu'il est. Il s'agit de También la lluvia, ou Même la pluie si vous préférez. Une bonne grosse production engagée, plutôt tendance gauchisante, mais pas trop, cette même production que Jacques Morice (dans Télérama) a qualifié de « cinéma équitable ». Mais n'anticipons pas sur la prise de recul. Les faits sont assez simples. Début du 21ème siècle, un réalisateur idéaliste et un producteur très pragmatique décident de filmer leur projet, à savoir l'arrivée des Espagnols en Amérique Latine, la colonisation et les brimades aux indigènes, et le soulèvement de ces derniers. Duo de choc, qui pour des raisons matériels et financières choisit de tourner en Bolivie avec des Indiens Quechua, qui ne sont pas les bons Indiens mais qui font Indiens quand même si on leur met les fesses à l'air. Puis une forêt c'est une forêt. Donc le deal semble fonctionner, les figurants sont à peine payés, le tournage débute. Mais le pragmatisme atteindra vite sa limite. A l'échelle municipale est décidé un plan de privatisation de l'eau courante. La population proteste. Les autorités ne cèdent pas. La population proteste plus fort, et s'engage dans la lutte. L'équipe du film se retrouve prise au beau milieu d'une crise politique, faisant fi de la tension locale pour continuer le tournage...
Même la pluie |
Iciar Bollain livre ici un film social, dans la lignée d'un Ken Loach, pour lequel elle a tourné (Land and Freedom) et à qui elle a pris le scénariste. Envoyer une équipe tourner en Bolivie ne lui sert que de prétexte à un contenu autrement plus politique et actuel. La focale est ici surtout placée sur la situation bolivienne et cette « guerre de l'eau de Cochabamba » , qui a eu lieu en 2000. Les quelques fragments du film historique en tournage ne servent d'ailleurs qu'à souligner ou illustrer le contexte. Ce qui se trame en Bolivie en 2000, terrible écho pour l'équipe, n'est qu'une redite, une nouvelle colonisation à l'apparence certes différente mais de même nature : l'exploitation du potentiel des uns par d'autres. L'Espagne s'est mue en multinationale, voilà tout. Quand Daniel, Quechua choisi pour le rôle du leader des Indiens révoltés, doit affronter les conquistadors le jour et l'armée la nuit, il se bat contre le même ennemi, dépassant la fiction. Et dépassé, tout le monde l'est. Dans le tumulte, l'équipe du film, ces hommes qui ne sont pas à leur place, se disloque, et son unité apparente, qui n'était que professionnelle, s'ébrèche sous la pression politique et l'augmentation des violences. Chacun sa réaction. La plupart prennent peur, et cherchent à regarder au-delà. Mais deux d'entre eux vont subir, par les évènements, le changement dont ils avaient sans aucun doute besoin. Enthousiasmé puis paniqué, le réalisateur Sebastiàn entre peu à peu en transition entre un âge caractérisé par ses douces utopies de jeune premier et le retour, brutal, aux réalités : quelle responsabilité de l'artiste face à ces évènements ? Mais c'est surtout Costa, le producteur, qui se révèle à lui-même et aux autres. Cynique, affairiste, le bouclage du film est son unique objectif. Les amitiés naissantes et le chaos le feront plonger dans la bataille, neutre mais décidé.
Ce n'est pas du Ken Loach bien sûr, mais le film se donne les moyens pour arriver à ses fins. Et ça marche. Alors, l'ensemble est très produit, précisément orchestré, souligné de violons et tambours dramatiques, bref une comédie dramatique gros budget sur sujet sensible. Mais n'en faut-il pas ? L'œuvre est accessible, et sert son message jusqu'au bout, par une mise en scène bien pesée. De plus, il nous est donné le plaisir de retrouver deux acteurs toujours efficaces : Gael Garcia Bernal, bien connu du public hexagonal, et surtout Luis Tosar, l'homme aux Goya. Pas leur plus grande prestation, mais servir le personnage avec un minimum de talent devrait être obligatoire.
Les spectateurs bobos de Les femmes du 6ème étage essayaient de s'acheter une conscience sociale contre 8 euros le siège. Ils peuvent retenter leur chance ici, avec toutefois une dose nettement plus élevée de sérieux et d'humilité. Et sans Sandrine Kimberlain.
Martin, comte de Perrot
Citoyen Negrin de Sigfrid Monleon, Carlos Alvarez et Imanol Uribe
N'ayant pas vu Même la pluie, je ne peux pas me prononcer sur l'article du Comte de Perrot. Cependant, cette "tendance gauchisante" me semble être une constante dans ce festival au regard de Pain noir, déjà chroniqué, et de Citoyen Negrin, qui nous raconte la vie de Juan Negrin, chef du gouvernement de la Seconde République entre 1937 et 1945 et homme de gauche aussi important en Espagne que Jean Jaurés en France. Bien que cinématographiquement peu original, Citoyen Negrin réussit à réveiller la sève militante. Le public visé est clairement le peuple de gauche et le combat anti-fasciste de l'homme semble être mis en avant au point que l'alliage de ses deux perspectives débouche sur une question radicale : Peut-on être anti-fasciste sans être de gauche ? On s'aperçoit que ce devoir de mémoire est une façon de poser des questions sur l'essence du socialisme et la définition qu'on s'en fait aujourd'hui. Malgré toutes ses qualités, le film m'a surtout touché par les petites scènes familiales tournées par Negrin lui-même. Il devient alors le réalisateur posthume d'un film qui en compte déjà trois. Un comble!
Tifenn Jamin
"Ce n'est pas du Ken Loach bien sûr, mais le film se donne les moyens pour arriver à ses fins. Et ça marche. Alors, l'ensemble est très produit, précisément orchestré, souligné de violons et tambours dramatiques, bref une comédie dramatique gros budget sur sujet sensible. Mais n'en faut-il pas ? L'œuvre est accessible, et sert son message jusqu'au bout, par une mise en scène bien pesée. De plus, il nous est donné le plaisir de retrouver deux acteurs toujours efficaces : Gael Garcia Bernal, bien connu du public hexagonal, et surtout Luis Tosar, l'homme aux Goya. Pas leur plus grande prestation, mais servir le personnage avec un minimum de talent devrait être obligatoire."
RépondreSupprimerRien à rajouter, tu as tout dit !
Tambien la lluvia m'avait bouleversée, au point d'écrire une chronique directe en rentrant chez moi (qui a été diffusée lors de l'émission sur le communisme au 21eme siècle, si c'est pas bien orchestré, ça !), même si effectivement c'est blockbuster, manichéen à fond les manettes,...Mais ça fonctionne, le message est fort.
(c'est Diane!)