Fernando "Pino" Solanas a ceci de particulier et d'assez rare pour qu'on puisse le signaler ; c'est un homme sans compromis. Chose merveilleuse quand cet homme observe et analyse l’Amérique latine à travers l'objectif d'une caméra, cet objet qui donne à voir l'injustice. Certains pourront toujours lui reprocher son déficit formel – ces gens-la n'ont pas vu Tangos, L'exil de Gardel (1985) – , je leur répondrai qu'un type capable de retranscrire visuellement ses convictions, sur une durée s'égrainant de La Hora de Los Hornos (1968) à Tierra Sublevada parte 1 :Oro Negro (2010), relève d'un savoir-faire incontestable. Qu'il se livre corps et âme dans la fiction ou qu'il prenne ses distances avec le documentaire, Solanas connaît les limites de son art, comme tous grands metteurs en scène.
Oro Negro, son dernier long métrage en date fait partie d'une série de films documentaires : La Tierra Sublevada dont le but est de montrer la dépossession des richesses argentines. La première partie s'occupe des richesses minières tandis que Oro Negro comme son nom l'indique s’évertue à retracer la privatisation du pétrole. De ses premières tentatives de nationalisation, incarnée par le général Mosconi véritable – et à juste titre – héros populaire, aux magouilles du couple Kirchner, Solanas retrace non seulement l'histoire de son pays mais plonge aussi dans le quotidien des premières victimes de ce saccage national ; qu'il soit ouvrier dans les industries pétrolières, manifestant de tous les jours ou population victime des retombées environnementales liées aux raffineries, le peuple est toujours le premier à subir l’intérêt des plus riches : une constante, parmi tant d'autres, de Pino Solanas, qui aurait eu certainement sa place dans la junte bolivienne auprès du Che. A l'instar du cinéaste désabusé que j'ai pu rencontrer au festival de Saint-Denis*, cette critique filmée a de quoi faire fondre en larmes le spectateur non averti, devant ce gâchis qu'est l'Argentine, un pays qui aurait dû avoir une croissance égale à celle que connaît aujourd'hui le Vénézuela.
Une première heure sous le signe de l'anéantissement, du désarroi des pauvres gens auxquels on pourrait plaquer, pour représenter la démarche du cinéaste, cette citation d'Antonio Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l'intelligence à l'optimisme de la volonté ». L'optimisme de la volonté qu'on croit, en premier lieu, absent de ce film surgit soudainement dans un épilogue ou règne l'espoir, sans quoi Solanas n'aurait pu dénoncer l'ingérence du capitalisme tout au long de sa longue carrière ; hommes et femmes mettent en place un système de solidarité pour que chacun puisse vivre dans la dignité, à l'image de cette usine qui se propose gratuitement de reprendre les déchets plastiques des gens pour en faire des chaises.
Ce qu'il y a de frappant dans ce film, c'est qu'il interpellera toutes sortes de spectateur bien que celui-ci ne connaisse pas le fil historique de l'Argentine, y compris le spectateur qui n'a pas forcément d'affinités avec des théories économiques. Et c'est en cela que Solanas progresse, il remet au goût du jour - ou invente ? - le documentaire populaire. Populaire dans le sens où il ne vise pas un public, populaire puisqu'il montre le peuple méconnu et enfin populaire puisque ce film peut agir sur les consciences des citoyens. A l'heure où le débat politique français est parsemé par des idées de nationalisation, ce film peut être vu comme un avertissement à tous ceux qui voudraient négliger le peuple au profit des marchés financiers.
Film disponible sur Youtube en V.O
http://www.pinosolanas.com/ : n'hésitez pas à visiter le site du cinéaste/député.
*Festival « Est-ce ainsi que les hommes vivent? » qui s'est déroulait du 1er février au 7 février dernier. Je voudrais, par la même occasion, remercier l'équipe du festival de nous avoir permit de visionner ce film, parmi tant d'autres.
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